Plus de dix jours après en avoir terminé avec son troisième tour du monde en quatre ans, Jérémie Beyou a pris le temps de revenir sur son Vendée Globe 2020 dont il a pris la 13e place. Même si le résultat est loin de ses ambitieux objectifs de départ, le skipper de Charal aura beaucoup appris techniquement, mais également sur lui-même, lors de ces 89 jours de course.
Le départ : « L’émotion ne s’estompe jamais »
8 novembre 2020
« Comme d’habitude, j’ai ressenti du stress et de l’adrénaline avant de m’élancer, mais au fond de moi, j’avais vraiment le sentiment que nous avions bien préparé l’affaire, j’avais confiance dans le bateau et dans ma capacité à performer. Le matin du départ, j’ai été saisi par l’émotion, comme si c’était la première fois, ça ne s’estompe jamais. Ensuite, le départ a été long à venir, avec la brume qui ne se levait pas, finalement, je pars en milieu de ligne, comme on avait prévu, et rapidement, je me suis retrouvé en tête de la flotte, c’était génial ! Tu te dis que ta course est bien lancée, en avant ! »
Le retour aux Sables : « Une énorme déception et un coup de boost incroyable »
11-17 novembre 2020
« Les ennuis ont commencé avec le renvoi d’écoute de voile d’avant qui s’est arraché, de l’eau s’est alors introduite dans tout le nid d’abeille de la barre d’écoute. Au moment où j’ai commencé à attaquer la réparation, j’ai tapé quelque chose avec le safran, ma bastaque a à son tour cassé, l’enchaînement infernal… Je me suis dit alors que je n’avais d’autre choix que de revenir et toute l’équipe s’est alors lancée dans une opération commando pour réparer. Les premières heures de ce retour aux Sables ont été très compliquées à gérer psychologiquement, ma déception était énorme. L’arrivée dans le chenal a été difficile, mais quand j’ai vu tous ces gens venus pour me soutenir, ça m’a donné un coup de boost incroyable et une fois au ponton, je savais que j’allais repartir pour moi, mais aussi pour tous les gens qui m’ont supporté. »
La descente de l’Atlantique : « Long et usant »
17 novembre – 12 décembre 2020
« Quand je suis reparti le 17 novembre, la situation météo se présentait plutôt bien, je pensais pouvoir aller rapidement jusqu’à l’équateur et rejoindre la queue de la flotte. Mais au bout de 24 heures, tous les routages se sont dégradés, la route directe s’est refermée, c’était un coup très dur à vivre. La descente était très compliquée, j’avais le droit au dévent des Canaries puis du Cap Vert, à un Pot-au-noir pas simple, à un grand tour de l’anticyclone de Sainte-Hélène. Et j’étais tout seul, c’était long et usant, d’autant que je ne voyais pas la récompense au bout, je pensais vraiment rattraper les premiers bateaux bien plus tôt. »
Passage à l’équateur : 32e en 20 jours 20 heures et 22 minutes
Passage au Cap de Bonne-Espérance : 28e en 33 jours 12 heures et 4 minutes
Le Sud : « Une vraie machine à laver »
12 décembre 2020 – 11 janvier 2021
« C’est en arrivant à Bonne-Espérance que je suis passé devant Ari (Huusela) puis Sébastien (Destremau), j’avoue que ça m’a fait du bien, d’autant que quand tu es tout seul, tu sais que tu n’as personne autour de toi en cas de problème. J’ai bien sûr suivi en direct le sauvetage de Kevin (Escoffier), c’était difficile à vivre, d’abord parce que tu t’inquiètes pour lui, ensuite parce que tu transposes sur toi, tu sais très bien que si tu n’as pas du monde autour, tu ne tiens pas trois jours dans ton radeau de survie. Donc déjà, en termes de sécurité, c’était important d’avoir des bateaux autour de moi au moment d’attaquer le Sud. A côté, ça m’a donné une vraie motivation pour me lancer dans une course poursuite.
D’un point de vue météo, l’Indien a été difficile, soit j’avais beaucoup de vent, soit rien du tout, les trajectoires ont été longues, j‘ai souvent été obligé de faire route au nord au lieu d’aller à l’est. Et pendant la traversée du Pacifique, j’ai eu du vent très fort, venant de l’arrière, ce qui m’a obligé à faire pas mal de manœuvres. J’ai eu l’impression que le vent ne se calmait jamais, le bateau devenait une vraie machine à laver. Malgré cela, j’ai réussi à avoir le temps le plus rapide de la flotte dans le Sud. »
Passage au Cap Leeuwin : 20e après 45 jours 5 heures et 38 minutes
Passage au Cap Horn : 17e après 64 jours 2 heures et 14 minutes
La remontée de l’Atlantique : « Je me suis bien appliqué »
11 janvier – 5 février 2021
« Le Horn était une vraie récompense, c’était tout bête, mais faire la photo avec la pancarte marquée Cap Horn dessus, ça fait du bien ! Je me suis dit qu’au moins, je suis venu pour ça, c’est mon troisième passage, un peu la carotte qui m’a permis de tenir tout le Sud, il était mérité. Au moment de retrouver l’Atlantique Sud, j’ai regardé devant moi pour voir jusqu’à quelle place je pouvais espérer remonter. J’ai alors tout fait pour essayer d’aller vite, je me suis bien appliqué, je pense avoir fait du bon boulot en termes de météo, ce qui m’a permis de rattraper puis de bien distancer Alan (Roura) et Cali (Arnaud Boissières). Ensuite, je suis ralenti dans le Pot-au-noir, je n’avais pas de vent pendant 500 milles. J’ai réussi quand même à revenir sur Romain (Attanasio) qui a été encore plus arrêté que moi pour finir 13e. »
Passage à l’équateur : 14e en 77 jours 14 heures et 45 minutes
L’arrivée : « Il faut se laisser aller »
6 février 2021
« La dernière journée était géniale, comme si c’était fait exprès pour te donner envie de revenir ! J’avais une quinzaine de nœuds sur une mer plate, le bateau volait quasiment, j’avais presque envie que ça ne s’arrête pas. Mais en fait si, j’étais bien content d’arriver et de retrouver mon équipe, mon partenaire, mes proches. Juste avant l’arrivée, j’ai eu un peu l’angoisse de retrouver la terre, de mal faire, de ne pas dire les bonnes choses, mais en fait, il faut se laisser aller. Quand tout le monde est monté à bord, c’était très fort et la remontée du chenal, même avec les restrictions, ça reste un moment magique. »
Passage de la ligne : 13e en 89 jours 18 heures 55 minutes et 58 secondes (temps depuis le 17 novembre : 80 jours 16 heures 5 minutes et 58 secondes)
Les enseignements : « La fierté de ne pas avoir baissé les bras »
« Ce que je garde de ce Vendée Globe, c’est la fierté de ne pas avoir baissé les bras, d’être reparti avec l’humilité de savoir que je n’aurais pas la médaille au bout, mais aussi la combativité nécessaire pour aller au bout de cette aventure humaine. Je garderai également les échanges avec les concurrents que j’ai rattrapés, ce qui ne m’arrive quasiment jamais quand je suis aux avant-postes. Ces moments de partage ont été riches, je me suis alimenté de leurs histoires, de leurs valeurs, la notion de dépassement de soi est très forte chez eux, ils ont tous été vraiment méritants. Au final, la déception restera forte au regard de mes objectifs, mais ce n’est quand même pas rien d’avoir bouclé un troisième tour du monde en quatre ans, le deuxième en solitaire, ça reste un truc de fou. »