Un moment il faut essayer d’avancer, ce qui est dur c’est la décision de faire demi-tour, tu es forcé de renoncer ce pour quoi tu as fait 4 ans de préparation.
Donc forcément sur le coup c’est dur, ce n’est pas plus simple maintenant. Sur le retour tu te concentres à ne pas avoir plus d’avaries qu’il n’y en a à bord, les collisions éventuelles, l’arrivée au ponton, tu communiques avec l’équipe sur les façons de réparer ou pas. Mais là à l’arrivée, ça met une grosse dose d’émotion, ce n’est pas facile à gérer. Tu aimerais être partout sauf là. C’est vrai qu’il y a des gens, mais voilà c’est un peu triste quand même. Oui ça donne de l’énergie, mais ce n’est pas évident à gérer.
N’importe qui ne pourrait pas être sensible à ce qu’il se passe. La course s’arrête. Certains vont dire que ce n’est que du sport, c’est du sport, mais moi j’ai tout mis là-dedans depuis 4 ans et plus.
Ceux qui sont en course ont le mérite d’y être
Donc ouais le coup d’arrêt est très brutal. Le début de course n’a été facile pour personne, mais c’est sûr que les gars et les filles qui sont en mer sont tous méritants parce que c’était un début de course compliqué stratégiquement, le front était violent, t’avais envie de sortir de là ! Ils le méritent, ils vont trouver du vent portant et c’est mérité. Ils ont tous réussi à passer, ce sont tous de grands marins. Il ne faut pas s’attarder sur mon cas. Le principal, ce sont ceux qui sont encore en course. Et ceux qui sont en course ont le mérite d’y être. J’aurai aimé être avec eux, je vois Alex qui m’a envoyé un message super sympa ce matin.
Voilà j’aurais aimé avoir ma petite bagarre contre lui, contre les autres aussi. Le message d’Alex (Thomson), Armel (Tripon), Fabrice (Amédéo) et tous les gens de la terre, les salariés de Charal, mon équipe, puis tout le public. C’est assez incroyable, incroyable !!!
24h pour tout checker
Il faut essayer de gommer un peu l’émotion, faut être cartésien. On se donne 24h pour checker le bateau, les avaries principales, l’avarie de safran notamment et les avaries de barre d’écoute. Forcément dans le choc, il y a eu plein de dommages collatéraux donc il faut checker le bateau en entier et dans 24 h, on aura un état des lieux de tout ce qui est cassé, de ce qui est réparable, de comment ça l’est. J’espère qu’on aura une date dans le laps de temps qui nous est imparti pour repartir, et si on est capable de repartir effectivement on prendra le départ (avant mercredi 18/11 à 14h20).
Si techniquement c’est possible c’est l’objectif. Après comment ça se passera en mer, on verra bien, pour l’instant l’essentiel c’est de checker le bateau, d’essayer de réparer, d’essayer de repartir. On repartira si le bateau est réparable, je suis toujours dans ces problématiques techniques. C’est le problème du sport et du sport mécanique, parce que le marin avec ses 10 doigts, il ne fait pas grand-chose. Donc là on attend le checke complet du bateau, je suis convaincu qu’on va réussir à réparer, maintenant le diable se cache souvent dans le bétail et il va falloir expertiser. Les experts sont là, le chantier est là, les archi sont là, donc voilà on va vite savoir de quoi il en ressort et dans 24h on prendra la décision technique.
J’ai envie de repartir
Le problème n’est pas là, et tous les gens que j’ai croisés c’est : on répare on repart ! C’est sûr que dans ma tête, j’essaye d’être dans cet état d’esprit. Si je repars tout le monde sera 3000 milles devant et il n’y a plus de course. C’est un peu dur. Je suis passé par tous les états, j’ai démoli le garde-manger du bord, j’ai compulsé, il n’y a plus de pétales de bœuf à bord, il va falloir qu’on recharge avant de repartir. Il y a quand même un moment où ce n’est pas facile à vivre. Après tu gères le bateau, ce n’est pas facile d’aller au ralenti non plus, il ne fallait pas que j’aille trop vite, pour pas continuer à abimer le safran, j’étais que sur une bastaque donc voilà il ne faut pas que le mât tombe, donc tu fais attention à ne pas avancer trop vite. Tu te focalises là-dessus et puis tu attends avec impatience d’arriver à terre.
Je pensais qu’en revenant en janvier le monde aurait un peu changé, mais voilà une semaine après, ça n’a pas beaucoup changé malheureusement, il va falloir être patient.
C’est une course dure
J’ai vécu des trucs tellement durs mais des trucs tellement beaux sur cette course. C’est le contraste qui fait que cette course, elle est si particulière. Statistiquement, c’est sûr que je ne suis pas le mieux loti. Maintenant la dernière fois, j’ai fait 3e, et puis il y en aura surement d’autre ! C’est une course dure, tu le sais quand tu viens, tu le sais, il n’y a pas de surprise, quand tu vis des revers comme cela ce n’est pas agréable du tout. Sur le moment tu as envie d’être partout ailleurs sauf sur ton bateau et dans cette situation-là. Tu es là parce que tu as bien voulu y être, parce que tu as choisi d’y être et tu sais avant de partir les éventuels scénarii qui peuvent arriver, et des scénarii dingues comme celui-là. C’est sûr que je n’ai jamais été aussi prêt et voilà ça me tombe dessus : tu tapes un truc et c’est fini ! Faut arriver à vivre avec sinon faut pas faire ça.
Je ne suis plus en mer pour l’instant. Il y a une superbe course devant, ça navigue bien tactiquement. Le petit coup à terre de Jean Le Cam, c’était du Grand Le Cam ! la course est belle, faut continuer à encourager ceux qui sont encore en course.
C’est le contraste, qui fait tout cela, je suis du côté obscur ce coup-là. Jean Le Cam par exemple, c’est super beau ce qu’il fait, c’est ce contraste-là qui nourrit, pas l’imaginaire, mais la réalité de cette course qui est juste à part…
Ecoutez l’audio de Jérémie Beyou à son arrivée aux Sables d’Olonne.