Jérémie Beyou en a terminé ce samedi à 9h15’58’’ avec son quatrième Vendée Globe, 13e dans un temps de course de 89 jours 18 heures 55 minutes et 58 secondes (11,31 nœuds de vitesse moyenne théorique sur la route directe, 13,80 nœuds de moyenne réelle sur les 29 728 milles réellement parcourus). Depuis son « re-départ » le mardi 17 novembre à 17h10, le skipper de Charal aura bouclé son tour du monde en 80 jours 16 heures 5 minutes et 58 secondes. Après avoir remonté le chenal des Sables d’Olonne, entouré de nombreuses embarcations et acclamé par les Sablais depuis leurs fenêtres ou du quai de la Chaume, Jérémie a avalé une bonne entrecôte en compagnie de ses proches et de ses partenaires. Puis, Jérémie s’est longuement confié sur « l’aventure humaine de folie » qu’il aura vécue.
Que retiens-tu de ce Vendée Globe ?
Ce n’était pas du tout le Vendée Globe que j’attendais, mais j’ai vécu une aventure humaine de folie. C’était une expérience inédite, mais une expérience fabuleuse, dont je ne retiendrai que les bons moments, je suis super fier de ce que j’ai fait. Ça me paraissait impossible de surmonter le fait de ne pas pouvoir jouer la gagne, finalement, c’est une grosse victoire sur moi-même, j’ai découvert la fierté de gagner des petites batailles chaque jour, je sais que ça va me servir dans le futur et ça m’a rendu encore plus amoureux de cette course. Finir le Vendée, c’est quand même quelque chose, il faut savoir le savourer et partager avec tous les gens qui sont là, c’est magique de retrouver tout le monde, mon équipe, mon partenaire, ma famille, cet accueil vaut toutes les peines du monde. Le sport ce n’est pas que gagner, c’est aussi finir, aller au bout de ses idées, Pour soi bien sûr mais aussi pour son équipe, ses partenaires et les gens qui te soutiennent, que tu les connaisses ou non. C’est beau le sport !
Pourtant, il a fallu digérer le début de course avec ce retour prématuré aux Sables d’Olonne, comment as-tu surmonté ça ?
Ce n’était pas simple psychologiquement, parce j’avais l’impression de m’être préparé toute une vie et de sentir qu’avec ce bateau, j’avais ma chance sur cette course, donc je suis tombé de haut.
Quand je suis reparti, je ne pouvais pas effacer ça de ma mémoire, mais il fallait arriver à le gérer au mieux. Dans un premier temps, j’ai essayé de faire en sorte que ça ne prenne pas trop le dessus, que ça ne m’empêche pas de continuer à faire avancer le bateau, et petit à petit, les pensées positives ont repris le dessus, je me suis remis progressivement dans la course, en me concentrant sur ma stratégie. Et à la fin, sur les derniers jours, ce n’est pas que je n’y pensais plus, mais je n’ai fait que profiter du moment. C’est vraiment allé crescendo et je suis bien plus en forme aujourd’hui que je ne l’étais il y a 80 jours en repartant d’ici !
Le fait d’avoir commencé en entrée d’océan Indien à rattraper des concurrents t’a-t-il aidé ?
Oui, parce qu’au début, je me sentais vraiment isolé. C’est quand même plus sympa d’avoir des concurrents, donc c’était important pour moi d’arriver à rattraper le premier paquet au niveau du Cap de Bonne-Espérance, ça m’a mis une petite motivation supplémentaire. Après, rattraper des concurrents, c’est une chose, mais il fallait arriver à les dépasser, et ce n’était pas si évident, parce que ça naviguait bien ! Je sentais que quand j’arrivais, la moyenne augmentait, ils essayaient de résister… Finalement, je suis arrivé à remonter des places, je finis treizième, je suis très fier de ce que j’ai fait.
Tu as pris le temps d’échanger avec les marins que tu as peu à peu dépassés, qu’as-tu appris d’eux ?
Sur mes précédents Vendée Globe, je n’avais quasiment pas communiqué avec mes adversaires et c’est vrai que d’une façon générale, quand tu joues devant, il y a un côté psychologique et intox, qui fait que tu si tu échanges avec ceux qui sont à côté de toi, tu vas peut-être montrer tes faiblesses, donc au final, tu fermes les écoutilles. Là, je me suis retrouvé avec moins de pression, j’ai pu échanger avec ceux qui étaient autour de moi, découvrir leur course, leur façon de voir les choses. Mon idole, c’est Michael Jordan, pour qui « tu joues pour gagner ou tu ne joues pas », j’ai découvert que tu pouvais jouer pour ne pas gagner, mais pour aller au bout d’un projet, de tes convictions et de toi-même. Et tous ces gens sont là pour ça, ils donnent tout. C’est un super beau challenge, ce sont des gars et des filles très méritants, je pense beaucoup à ceux qui sont encore en mer. Je pense aussi beaucoup à ceux qui sont rentrés trop vite à la maison, comme Nico (Nicolas Troussel), Seb (Simon), Kevin (Escoffier), Alex (Thomson), parce que j’ai eu la chance de repartir, pas eux. Je sais que c’est hyper dur à vivre pour l’avoir moi-même vécu.
Comment vit-on un Vendée Globe moins dans la compétition ?
Il y a moins de pression. Quand tu es devant, chaque mouvement que tu fais, chaque option que tu choisis, tu le fais en fonction de ta météo, de ta façon de faire, de tes outils, mais aussi de ce que font les autres. Le fait d’avoir moins de pression m’a conduit à naviguer différemment. Ça m’a permis d’essayer plus de choses sur mon bateau, des configurations de voiles différentes, de prendre plus de temps pour manger, dormir, je n’ai jamais pris autant de douches que sur ce Vendée Globe, je me suis aussi plus brossé les dents ! Tout ça, ce sont des choses que tu oublies un peu quand tu es devant. Là, j’étais beaucoup plus centré sur ce que j’étais en train de vivre, moins sur les autres. C’était mon histoire, mon aventure. Je n’ai pas pour autant perdu mon esprit de compétition, mais ça m’a apporté un bon bol d’air.
Un mot sur ton bateau ?
Charal est juste un bateau extraordinaire. On le savait avant de partir, mais toutes les options que nous avons choisies ont fonctionné. Vous pouvez le regarder, il est nickel : la structure n’a pas bougé, les foils non plus, toute l’instrumentation a tenu, c’est la preuve que l’équilibre avec la carène et les ballasts était bon, que tout était correctement structuré. On était tous dans la découverte sur ce Vendée Globe, mais quand tu arrives à trouver les bons réglages et que le bateau démarre, c’est juste magique. C’est aussi pour ça que c’était important de faire ce tour du monde et que ça valait vraiment le coup de faire évoluer ce bateau. On ne s’est pas arrêtés à la version 1 du bateau, on a été dans l’innovation et le développement, là-dessus avec Charal, on est sur la même longueur d’ondes.
Te vois-tu déjà repartir dans quatre ans ?
Ce que je sais d’expérience, c’est que j’ai du mal à lâcher le morceau avant d’y arriver, donc j’espère être là la prochaine fois. Il y a la petite frustration de ne pas avoir le résultat au bout, tout est réuni pour me donner envie de revenir la prochaine fois. Maintenant, je vais déjà me concentrer sur cette saison 2021, avec une Jacques Vabre sur laquelle on a une petite envie de revanche avec Charal puis la Route du Rhum en 2022. Il ne faut
vraiment pas négliger la phase de récupération, parce qu’une course comme ça lessive, mais une fois que je serai requinqué, j’aurai très envie de retrouver des lignes de départ.
Eric Forin, directeur général de Charal : « Nous avons vécu l’arrivée de Jérémie avec beaucoup d’émotion, c’est très fort de voir avec quel acharnement il est reparti et a surmonté beaucoup d’obstacles. Sa course a été exceptionnelle, il a fait preuve de passion et d’une résilience formidable. Pour toutes les équipes du groupe, il a parfaitement incarné l’esprit « Vivons fort ! » que nous défendons, tout le monde s’est retrouvé dans sa façon de surmonter les épreuves, d’y croire toujours, de ne pas lâcher. C’est aussi un très bel exemple pour tous les enfants des écoles qui l’ont suivi pendant toute la course, il va faire naître des vocations, c’est sûr et certain ! Cette très belle remontée du chenal est une très belle récompense pour lui, mais aussi l’aboutissement d’énormément d’efforts pour toutes les équipes qui ont travaillé sur ce projet. Tout ça ne serait pas arrivé sans le Charal Sailing Team, sans les collaborateurs de Charal. C’est une très belle aventure collective qui a été vécue au sein de l’entreprise avec beaucoup d’intensité. »