24 jours 9 heures et 14 minutes après son deuxième départ des Sables d’Olonne le 17 novembre, Jérémie Beyou a franchi ce samedi à 2h24 (heure française) la longitude du cap de Bonne-Espérance. Dans le même temps, le skipper de Charal est parvenu à recoller au peloton en remontant notamment Ari Huusela (Stark) et Sébastien Destremau (Merci), de quoi lui permettre de rentrer dans l’océan Indien avec un moral regonflé, même si les conditions de navigation sont difficiles.
Quelles conditions rencontres-tu au moment de pénétrer dans l’océan Indien ?
« J’ai un vent toujours assez soutenu et hyper variable qui se balade vraiment en force et en direction, j’ai toujours entre 15 et 32 nœuds, du coup, la mer est complètement cisaillée, ce n’est pas la guerre, mais c’est très dur de stabiliser le bateau et de trouver une vitesse constante, ce n’est pas très confort. »
Tu as passé la longitude de Bonne-Espérance, premier des trois caps mythiques du Vendée Globe, en même temps que tes premiers concurrents, Ari Huusela et Sébastien Destremau, ça fait du bien moralement ?
« Ce n’est pas tant de passer un concurrent qui fait du bien, mais plus d’avoir réussi à faire la jonction avec le groupe, de rattraper le paquet de milles que j’avais de retard sur ces bateaux (1250 en repartant des Sables d’Olonne le 17 novembre), de me retrouver dans le même système météo qu’eux et d’avoir du monde autour pour continuer dans le Grand Sud. En termes de sécurité, c’était important. Je n’aurais pas voulu passer Bonne-Espérance dix jours derrière les autres, donc moralement, avoir du monde autour, ça fait du bien. Je m’étais dit qu’il fallait que ça se fasse avant Bonne-Espérance, ça s’est fait pile-poil en même temps, donc je suis content. »
Regardes-tu désormais devant toi en te disant qu’il y en a d’autres à doubler ?
« Non, mon fonctionnement, c’est de naviguer jour après jour, de me concentrer sur les choses qui vont se passer dans la journée. Si tu commences à dézoomer la carto et à regarder loin devant, ce n’est pas très bon pour le moral, donc j’évite vraiment de le faire. Je regarde les systèmes météo de façon globale à une semaine, mais je ne fais pas de routage pour ceux qui sont devant, je ne me dis pas que je vais les rattraper à tels moments, j’essaie juste de faire ma route et de faire en sorte qu’elle soit souple pour le bateau. Je n’ai pas envie de trop tirer dessus, mon objectif est de le maintenir en bonne forme. »
Peux-tu nous dire à quoi ressemble le Sud ?
« Ça fait trois-quatre jours maintenant que je suis dedans, depuis que je suis passé sous Gough Island où j’ai vu mon premier albatros. Les vents sont toujours un peu plus soutenus que ce que les fichiers météo prévoient, la mer est très désordonnée et très courte, dès que le bateau accélère, il est vraiment sous l’eau, c’est monstrueux ! Ce sont des zones où il n’y a pas grand-monde à part les albatros et les pétrels, j’en ai vus pas mal ce matin, ça veut peut-être dire qu’il y a des mammifères marins dans le coin. J’ai aussi croisé Sébastien Destremau, même si je n’ai pas réussi à le voir à cause de la mer, j’ai échangé avec lui à la VHF. Je lui ai demandé dans quel état lui et son bateau étaient, il avait l’air en bonne forme, c’était sympa d’entendre quelqu’un de vive voix à côté, de sentir une présence. »
Quelles images gardes-tu de tes précédents passages dans le Sud ?
« Mon tout premier passage dans le Sud sur la Barcelona World Race (en 2007-2008 avec Sidney Gavignet) ressemble pas mal à celui-là, au niveau du vent soutenu et de l’état mer, c’était pareil, on n’arrivait pas à sortir l’étrave de l’eau tellement la mer était courte. Sur le dernier Vendée Globe, tout ce passage avait été beaucoup plus facile, j’avais été tout droit au-devant d’un grand front avec la mer plate, ce n’était pas la même affaire. Là, en termes de météo, j’ai quand même été moins gâté depuis le départ qu’il y a quatre ans, ce n’est jamais tout droit, ça ne ressemble vraiment pas au précédent Vendée. »
Quelles sont les grandes différences entre l’Atlantique Sud, l’Indien et le Pacifique que tu traverseras plus tard ?
« Ça dépend vraiment de la météo. Là, l’Atlantique Sud depuis quatre-cinq jours ressemble à l’Indien, avec pas mal de phénomènes à négocier et une mer pas simple à gérer. Normalement dans le Pacifique, il y a des phénomènes un peu plus installés, la mer est moins perturbée, c’est un océan plus ouvert, j’espère que ce sera plus facile en termes de navigation, même si sur mon précédent Vendée Globe, la mer n’avait pas été très rangée. »
Que change le fait d’être dans le Sud en termes d’organisation à bord ?
« D’abord, tu évites d’être debout dans le bateau, tu es tout le temps en train de te tenir, parce qu’il y a beaucoup de plantés. Donc les déplacements sont un peu pénibles. Pour dormir, j’essaie parfois de me mettre dans la bannette, mais il faut bien se caler pour éviter de se faire projeter sur la cloison de devant, sinon, je dors plutôt par terre dans le pouf, c’est moins inconfortable. Et pour faire à manger, dès que je fais bouillir de l’eau, je dois ralentir un peu le bateau, sinon je n’y arrive pas. »
Est-ce depuis que tu es dans le Sud que tu as rencontré les mers les plus hautes ?
« Je pense que c’était il y a une petite semaine à la fin du contournement de l’anticyclone de Sainte-Hélène, la mer a commencé à grossir, il y avait 4,5 mètres. Ce n’était pas l’enfer, mais tu n’as pas besoin d’avoir 6-7 mètres pour que ce soit difficile, une mer de 3-4 mètres très courte comme celle que j’ai en ce moment, ce n’est vraiment pas très praticable. J’imagine que les gens se disent que les foilers n’avancent pas vite, mais c’est vraiment l’état de la mer qui décide, tu ne peux pas faire démarrer les bateaux en mode plus glisse, il faut trouver des réglages un peu différents, ce qui explique que ça nivelle les performances. »
Comment s’annoncent les heures et les jours qui viennent ?
« Il y a une petite baisse de pression qui arrive derrière moi, avec un vent qui va basculer en passant de secteur nord, il faudra que je réussisse à rester le plus longtemps possible devant ce front. Si j’y arrive, j’aurai encore un renforcement de ce vent entre mardi et mercredi, de l’ordre de 35-45 nœuds, je verrai comment me positionner par rapport à ce phénomène. »
Vidéo envoyée par Jérémie, le 11 décembre avant le passage du cap de Bonne Espérance