Retour sur un Pot-au-noir infernal : Jérémie Beyou et Christopher Pratt ont sans doute vécu sur cette Transat Jacques Vabre le pire moment de leur carrière de marin, perdant en trois jours dans cette zone parfois très aléatoire située au-dessus de l’équateur toute l’avance qu’ils avaient accumulée à bord de Charal. Joint vendredi en fin de journée, Jérémie Beyou s’est livré sans fard.
Jérémie, tu as connu de nombreux passages du Pot-au-noir dans ta carrière de marin, peut-on dire que c’était le pire ?
Oui, c’était vraiment terrible, c’était même out simplement un des pires moments de ma carrière. Souvent, je reste prudent, mais en début de semaine, avant d’arriver dans le Pot-au-noir, je disais que c’était du jamais-vu dans une Jacques Vabre ou une transat qu’un bateau y rentrant avec plus de 100 milles n’en sorte pas en tête. Malheureusement, c’est arrivé. Nous avions plus de 120 milles d’avance sur Apivia et ça n’a servi à rien. Au début, notre entrée dans le Pot-au-noir n’est pas mauvaise, à un moment, on a un gros grain avec du vent à 30 nœuds et derrière, rideau ! Ça n’est jamais revenu et surtout, on a balisé le terrain pour tous ceux qui sont arrivés derrière, c’était du pain béni pour eux, ils n’avaient qu’à se décaler vers l’est pour ne pas rester bloqués.
On a tous vécu des choses comme ça quelle que soit la régate, ces moments où tu es en tête, où tu as super bien navigué, ce qui était le cas depuis le début de la course, où tu maîtrises ton sujet et où tout d’un coup, pour des raisons hors de tout contrôle, tout s’écroule. Ça m’est déjà arrivé sur des courses comme la Solitaire du Figaro, mais ça durait une heure ou deux, maximum six le temps d’une marée et ça repartait, là, ça a duré trois jours. C’était vraiment hyper dur, parce que chaque fois qu’on avait un petit bout d’éclaircie, on y croyait, on avait l’impression de sortir, et puis la nuit, tous les nuages que nous avions réussi à passer au près revenaient sur nous au portant. C’était l’enfer, comme un manège qui ne s’arrête jamais de tourner.
C’était comme le film Un jour sans fin, où tu te réveilles tous les matins le même jour, l’histoire a recommencé pendant trois jours…
De l’extérieur, on se disait que ça devait être effectivement infernal à vivre, comment avez-vous fait pour ne pas craquer dans ces conditions avec Christopher ?
On a coupé les classements, on ne voulait plus les voir. Au bout de 24 heures, on a compris que ça allait être compliqué, et surtout, que ça n’arrêtait pas. Pourtant, il n’y avait rien du tout comme décalage au début : quand on est rentrés dans la molle, Apivia était dans notre axe. Et quand on a compris que ça allait être vraiment compliqué d’en sortir, il y avait un décalage en latéral d’une quinzaine de milles. Mais là, tu comprends qu’ils sont sur l’autoroute et que toi, tu es sur la départementale, et que le prochain embranchement est très loin. Tu vois les mecs à 130 et toi, tu es à 30 maxi, donc on a coupé les classements, parce que ce n’est pas humain, ça devenait insupportable. On a juste essayé pendant trois jours de sortir de là.
Arrive-t-on dans ces conditions à dormir, à s’alimenter, ou est-on complètement obnubilé par le fait d’en sortir ?
Un peu les deux. Il y a des moments où tu ne dors pas pendant 24 heures, parce que tu n’arrives pas à avancer et le coup d’après, tu ne veux plus sortir de ta bannette, parce que tu n’as plus envie de voir ça, tu manges pour oublier ce que tu vis. Ce qui est sûr, c’est qu’avec Christopher, nous sommes tout le temps restés solidaires, ultra-positifs, à se dire qu’il fallait essayer de sortir de là, de faire les choses à l’endroit, mais c’était vraiment super dur à vivre.
24 heures que vous êtes sortis du Pot-au-noir, quel est désormais votre objectif ?
Oui, nous sommes repartis, on sait que la victoire nous a échappé. On va dire qu’il faut « aussi » de la chance de temps en temps pour gagner des courses. On ne l’a pas eue cette fois-ci, la victoire, ce ne sera pas pour cette Jacques Vabre. Pour autant, tant que la ligne n’est pas franchie, rien n’est joué. On essaie de bien faire marcher Charal, et de tout donner pour vivre pleinement les derniers jours ensemble.